L’apprentissage par expérience

L’apprentissage par expérience: un cadre théorique

Karen Vermeylen

• quelques concepts centraux
• le cycle de l’apprentissage expérientiel de Kolb
• “edgework”: apprendre à la limite de ses propres cadres de référence

1. L’apprentissage expérientiel est une méthodique puissante, mais n’est pas une formule magique

La signification d’une situation devant laquelle quelqu’un se trouve, n’est pas un donné objectif dans cette situa-tion, mais se trouve « entre ses oreilles ».

L’accompagnement axé sur l’expérience consiste à aider l’apprenant à devenir conscient de la signification qu’il apporte lui-même à l’activité (Hovelynck, 1999-2000). L’accompagnement axé sur l’expérience consiste à faciliter l’explicitation des cadres de référence sous-jacents qui déterminent les comportements possibles d’une personne. Ce n’est pas toujours facile, ni pour l’apprenant, ni pour l’accompagnateur! Un accompagnateur axé sur l’expérience guide ainsi l’apprenant dans sa prise de conscience, ses choix, l’apprentissage d’une réflexion qui dépasse ses cadres de référence et … finalement il lui apprend à s’aider soi-même.

L’apprentissage expérientiel est une manière d’apprendre dans laquelle l’apprenant s’engage lui-même activement dans l’exploration de questions qui sont pertinentes et qui ont du sens pour lui. L’apprenant est participant, il vit lui-même son processus, (co-)construit avec l’accompagnateur et d’autres dans le groupe, ses cadres de référence et les comportements possibles qui sont pertinents au moment-même mais aussi  dans le futur pour vivre et travailler dans la société dont il fait partie (Gass, 1993).

L’accompagnement axé sur l’expérience implique ainsi entre autres :
• une responsabilité partagée entre l’apprenant et l’accompagnateur,
• une attention particulière pour ce qui arrive à l’apprenant dans/et à son contexte,
• de percevoir ce qui est, voir les choses comme elles se présentent ici et maintenant, et non pas comment elles devraient être,
• de faciliter la prise de conscience,
• d’être axé d’une manière ouverte, réceptive sur le propre sens que l’apprenant donne à son ex-périence et les cadres de référence sous-jacents de son comportement qui sont révélés dans l’action

2. Expérience

Chaque expérience est un donné ‘global’, un “ensemble complexe” où savoir, compréhension, émotion ou ressenti, intention, action, relation et prise de conscience vont de pair.  Une expérience est toujours contextuelle. Toute expérience se situe “ici et maintenant” dans un certain contexte, et sera probablement différente demain, à la maison, ailleurs… L’humain forme un tout avec des aspects physiques, mentaux, émotionnels et de volonté qui sont inextricablement liés et qui s’influencent mutuellement. L’humain est une unité fonctionnelle et se trouve impliqué dans l’expérience dans son intégralité.

Faire une action n’est pas la même chose que de vivre l’expérience.

"Immersed in the experience does not mean the same as busy with the activity. What participants are immersed in is the experience which they create by framing the task the way they did, by enacting their implicit ‘figures of thought’ which underly their action (Hovelynck, 1999-2000)."

Tous les courants existentiels, expérientiels (gestalt, client centered, pensée contextuelle, apprentissage expérientiel, …) reconnaissent l’unité de la pensée et du ressenti, l’unité de l’esprit et du corps. Merlau-Ponty parle du corps vécu, Gendlin du felt sense. Wollants appelle cela besef (Wollants, 1991). Lorsque ce que quelqu’un sait et sent initialement de manière implicite et encore inconsciente (= les cadres de référence implicites), est explicité et exprimé en langage ou en signes (= la signification et le sens expérimentés). Cette prise de conscience permet de faire des choix et crée une ouverture pour des alternatives. De nouvelles et plus larges perspectives, images et hypothèses se forment à côté ou en remplacement des anciennes. La personne change et grandit.

Toute expérience part de (inclut) une composante corporelle, physique. Notre manière de vivre est corporelle, notre corps est notre ‘véhicule’, moyen de contact et d’expression. L’aspect physique, corporel de l’expérience, le ressenti physique est parfois manifestement présent. Il s’agit, tant pour l’apprenant que pour l’accompagnateur attentif d’un donné non-verbal important qui mérite une attention respectueuse.

Toute expérience comprend également une composante émotionnelle et cognitive. Les émotions (ap)portent la signification. Observer les émotions et chercher leur signification (awareness – se rendre compte – réalisation – prendre conscience) permet de (pouvoir et oser) expliciter les cadres de référence sous-jacents.
Les expériences ne peuvent être transmises comme des produits à ceux qui n’ont pas vécu le processus de l’expérience. Ce qui met en évidence le caractère de processus de l’apprentissage expérientiel.

Il est impossible pour un accompagnateur “d’offrir des expériences”. Il peut “faciliter” le processus de l’apprenant, avec l’apprenant. Il interviendra au moment approprié, en regardant, en ressentant et en écoutant attentivement. Offrir un contexte sécurisant et invitant, et questionner sur ce qui se passe. En s’engageant avec l’apprenant dans une relation où “comment être en relation” est plus important que le contenu de l’offre. (cfr. les articles au sujet de l’attitude de l’accompagnant)

3. Qu’est-ce que l’apprentissage expérientiel ?

Il y a pas mal de littérature au sujet de l’apprentissage expérientiel, mais malheureusement elle ne répond pas toujours aux attentes. Nous exposons brièvement deux théories importantes, qui à première vue semblent se contredire sur certains points.

Kolb décrit le cycle d’apprentissage expérientiel comme suit :
"Experiential learning is a process in which a particular experience is, on reflection, translated into con-cepts which become in turn guidelines for new experiences.
Experiential learning occurs when individuals engage in some activity, reflect upon the activity critically, derive some useful insight from the analysis, and incorporate the result through a change in under-standing and/or behavior."

L’apprentissage expérientiel est un processus, un apprentissage dynamique et continu. Le schéma ci-dessus montre insuffisamment l’aspect dynamique. Quatre “moments” importent se suivent. Le mouvement d’un « moment » à l’autre, la transformation, constitue l’essence du processus de développement. Et peut être considéré comme “fil conducteur” pour l’accompagnant axé sur l’expérience pour faciliter ce processus.

L’action et les possibilités de comportement des humains sont déterminées et guidées par leurs idées, perspectives, vision, cadres de référence, théories (théories propres ou puisées dans les livres … peu importe) sous-jacentes. C’est ce que Kolb appelle des concepts abstraits.  La situation dans laquelle l’apprenant se retrouve, ou l’offre faite par l’accompagnant, est perçue par l’apprenant à partir de ces cadres de référence propres.

Souvent l’apprenant n’est pas conscient de ses cadres de référence sous-jacents. L’accompagnant axé sur l’expérience créera une offre, verra et saisira des moments consciemment fortuits: action effective, moments de dialogue, time out, la coexistence quotidienne, trajets … dans lesquels l’apprenant peut tester ses concepts abstraits, travailler et expérimenter de façon active avec ses concepts abstraits. L’accompagnant crée des possibilités et de l’espace pour l’apprenant pour expérimenter, découvrir des cadres de référence jusque-là inconscients, les reconnaître, s’y heurter, les gérer. Même si l’accompagnant ne sait lui-même pas (encore) quels sont les  cadres de référence de l’apprenant. Etre occupé et impliqué dans l’action, dans l’expérimentation active, offre des expériences concrètes à l’apprenant.

L’observation réfléchie est le mouvement qui est nécessaire pour rendre le vécu et la signification de l’expérience concrète clairs ici et maintenant pour l’apprenant. Réfléchir consciemment, de façon spon-tanée ou planifiée, à ce qui se passe ou s’est passé concrètement ici et maintenant: le « quoi » (= les faits, l’histoire), le « comment » (= le vécu, le sentiment, qu’est-ce que ça fait à ou avec l’apprenant), et la signification que l’apprenant apporte à l’activité.

L’observation réfléchie n’est pas la même chose que l’évaluation de l’action ou de l’apprenant en termes de bon-mauvais. Il s’agit pour l’accompagnant d’aller à la recherche de l’essence avec l’apprenant et de l’aider à augmenter sa prise de conscience. Offrir un soutien, dire ce qui est (et non pas - de façon moralisatrice - ce qui devrait être), chercher la confrontation en douceur.

Par l’observation réfléchie en partant d’expériences concrètes, l’accompagnant facilite l’explicitation de cadres de référence existants, et la génération de cadres nouveaux. L’apprenant reconnaît son cadre de référence, et voit comment il l’aide ou le coince dans la situation où il se trouve (ou se trouvait). Surtout le fait d’être coincé contraint à chercher une alternative, une perspective, un concept abstrait nouveau ou renouvelé. Cela ne signifie pas que l’ancien est écarté ou immédiatement remplacé. L’intégration de nouveaux cadres de référence demande du temps. Et parfois l’ancien peut subsister aux côtés du nouveau, justement parce que de la sorte les capacités d’une personne deviennent littéralement plus grandes, plus larges, plus diverses. L’apprenant a plus de potentiel.